Les ados à l’oeuvre

Article de Jane Roussel, paru dans le journal Le Monde [en ligne] le 7/04/22

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Saleté, mauvaises odeurs, absence de PQ et de poubelles… Les toilettes des écoles belges sont aussi peu accueillantes qu’en France. Pour en faire de vrais lieux d’aisance, à Florennes, des lycéens en arts plastiques ont sorti les rouleaux.

 

Jeux vidéo pour les garçons, fleurs pour les filles. Les toilettes de l’Institut Saints-Pierre-et-Paul (ISPP) de Florennes, en Belgique, pourraient bien figurer en arrière-plan d’un selfie sur Instagram. Il paraît d’ailleurs qu’elles sont le décor de vidéos sur TikTok. Pourtant, ce sont des sanitaires de lycée. Ceux qui, dans les souvenirs de nombre d’entre nous, sentent le pipi macéré, manquent continuellement de papier et dont les verrous dysfonctionnent. Ici, les élèves de la section arts plastiques ont participé en 2020 à l’initiative « Ne tournons pas autour du pot », projet du fonds BYX (géré par la Fondation Roi Baudouin) en partenariat avec l’association Question Santé, qui finance des rénovations de W-C. dans les groupes scolaires belges.

« De toute ma scolarité, je n’ai jamais été aux toilettes à l’école », dit Ilan, élève de sixième année (terminale), seul garçon de cette promo d’arts plastiques. Il fuit les sanitaires collectifs de ce lieu où il passe pourtant huit heures par jour. Comme pour la majorité des écoliers, qu’ils soient belges ou français, les sanitaires sont un problème. Le dernier sondage en France à ce propos, mené par Harris Interactive pour Harpic, en 2019, auprès d’enfants de 6 à 11 ans, révélait que 55 % n’allaient aux W-C de l’école que lorsqu’ils ne pouvaient plus se retenir, 7 % déclarant ne jamais y aller. « La Fédération des conseils de parents d’élèves fait campagne depuis des années pour obtenir des toilettes décentes. Car ces lieux posent, dans l’état actuel des choses, des problèmes d’hygiène et de santé qui entravent les interactions à l’école et sont simplement un non-respect de la personne de l’enfant », explique la présidente de l’association, Ghislaine Morvan-Dubois.

Papier à côté de la cuvette, savon, essuie-mains, accessibles constamment, personnel en nombre su!sant pour nettoyer les W-C, sont les principales requêtes. Mme Morvan-Dubois souligne que la crise liée au Covid-19 a eu une influence positive sur certains points, et que le cahier des charges tend à évoluer en France. Un « plan toilettes » est en cours à Paris. Progressivement, des travaux de rénovation sont réalisés dans les sanitaires des écoles. Mais « une très grande inégalité territoriale persiste sur la question », note-t-elle.

 

Problématiques « affaires de filles »

En Belgique, le constat est similaire. Pour Maëlle, une camarade de classe d’Ilan, le problème a commencé au collège : « Il n’y avait même pas de papier, on devait apporter nos propres mouchoirs, ça sentait mauvais, c’est devenu ma hantise. » Elle se souvient d’une serviette usagée collée au mur, des mots d’insulte tagués, des coups de couteau dans les portes. Les élèves citent plusieurs établissements scolaires et un même constat : des sanitaires indécents. En arrivant à l’ISPP, derrière l’insigne « W-C filles », le tableau n’est pas rose non plus.

A l’époque, le vieux carrelage marron jouxte des portes jaunes, dont la simple évocation fait grimacer les élèves. A l’entrée, il y a l’unique distributeur de papier. Maëlle souligne qu’« il faut avoir l’œil, mieux vaut en prendre trop que pas assez », avant d’entrer dans la cabine. « Mais la quantité dit aussi : “Attention, elle va faire la grosse commission !” », note-t-elle. Le pire ? C’est de ne pas avoir une poubelle individuelle par WC. Elles se raclent la gorge avant d’évoquer ces « a!aires de filles », qui obligent à « reprendre son déchet et [à] le jeter en présence des autres ». « On n’aime déjà pas avoir nos règles, si en plus on doit le montrer… », se désole Camille, une autre élève.

L’école a conscience que le bâtiment, ancien, n’abrite pas des sanitaires convenables. Un triste classique des établissements scolaires, qui motive Sylvie Pochet, cheffe d’atelier, à proposer aux élèves de la section arts de répondre à l’appel à projets. Installés autour de leur maquette ultraréaliste, ils expliquent comment ces toilettes ont vu le jour. Des idées de thématiques sont proposées, puis votées sur la page Facebook de l’école. Ils listent ce qui ne va pas dans les sanitaires actuels et ce qu’ils souhaitent mettre en place. Ils prennent les mesures des cabinets pour les reproduire à l’échelle. Après avoir obtenu un financement de 4 000 euros de Question Santé, ils calculent les besoins en matériel et passent commande. En octobre 2020, ils se lancent dans les travaux avec les trois enseignantes de la section.

Non sans rebondissements. Après une semaine de travail, la peinture des portes s’écaille. « Il faut tout gratter et recommencer, on est démoralisés », raconte Camille en désignant les zones humides sur la version miniature. Pour remotiver les troupes, les professeures commandent des pizzas. Ils continuent. Mais, début 2021, la suite des travaux est marquée par une nouvelle péripétie : l’école ferme à cause du Covid-19. Les enseignants obtiennent une dérogation pour terminer le chantier avec leurs apprentis décorateurs d’intérieur. Seuls dans l’établissement, ils peignent « en écoutant la musique à fond », notent-ils.

Dans les sanitaires aux murs flambant neufs, entre deux boutons de tournesol et de coquelicot, les étudiants estiment avoir enjolivé l’endroit. Ils ont davantage envie d’aller aux toilettes, se retiennent moins, les autres élèves de l’établissement leur en sont reconnaissants, même si tous n’aiment pas les couleurs choisies, jugées trop féminines. « Depuis les travaux, ils prennent soin de leurs W-C, on n’a plus de gra”tis à nettoyer, ils respectent le travail de leurs camarades », observe Mme Pochet. « Avant, ma position pour faire pipi, c’était le squat », se souvient Camille. Maintenant qu’il y a des lunettes, elle se sent mieux. On y trouve aussi des portemanteaux, des poubelles, des brosses, du papier individuel, du savon. L’inconvénient ? Comme c’est confortable, « tout le monde s’y réunit. Moi, j’ai horreur de ça ! », conclut Madison.

 

 

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