Les écoles vont changer de toilettes, une question de santé publique

©Mathieu Golinvaux

16/11/2017
Un article issu du journal Le Soir.

La ministre Schyns veut doper la rénovation des toilettes dans les écoles. Avec bientôt un demi-million d’euros consacrés chaque année à ces projets. Une question de santé publique.

Madame, moi j’ai envie de faire pipi pour de vrai. » Ministre, directeur, enseignants, journalistes, photographes, cameramen… Il y a du monde autour des nouvelles toilettes de l’école Sainte-Marie de Saint-Gilles. Il y a du monde mais Théo (prénom d’emprunt), trois ans, s’en moque. Lui, ce qu’il veut c’est y aller. Il n’a pas tort Théo. Ses toilettes sont belles, saines, proprettes, adaptées à sa taille. Théo en connaît le mode d’emploi par cœur : « Quand un garçon fait pipi, il doit lever la planche parce qu’on peut la mouiller et que c’est pas gai pour une fille qui s’assied dessus. »

 

écoles toilettes santé publique©Mathieu Golinvaux

 

A deux pas, Mohamed El Boubsi, concierge et agent de maintenance de l’école, savoure le moment. Il y a trois ans, il avait élaboré un petit projet pour mettre de nouvelles toilettes à la disposition des classes maternelles installées dans le sous-sol de l’établissement, touché qu’il était de voir les enseignantes grimper cent fois par jour les escaliers pour aider les petits à soulager leurs besoins. Faute d’argent immédiatement disponible, il avait dû le ranger dans un tiroir. Plus tard, à la faveur d’un appel à projets lancé par la Fondation Roi Baudouin, il avait pu le mener à bien. Pendant que Mohamed empoignait truelles, carrelages et tuyauterie – avec l’aide de stagiaires de Bruxelles Formation – Madame Amélie et ses collègues enseignantes de maternelle sensibilisaient les enfants à l’hygiène, au respect des installations, à l’importance de l’eau… Tout est là dans ce projet : une nouvelle infrastructure, un accompagnement pédagogique et une sensibilisation du personnel d’entretien. « Vous n’imaginez pas comment un tel investissement peut changer la vie des enseignants, c’est du bonheur pour le personnel de l’école », confie Madame Amélie.

Fonds BYX

Un projet comme celui-là, il y en a eu quelques dizaines depuis 2013. Il y en aura surtout plusieurs centaines dans les prochaines années. La ministre Marie-Martine Schyns (CDH) vient en effet de doter le Fonds BYX – un fonds pour la promotion de la santé géré par la Fondation Roi Baudouin – d’importantes promesses de subventions : 167.000 euros en 2017, le double en 2018 et le triple à partir de 2019 et les années suivantes. En parallèle, le fonds lance un appel à projets dans toutes les écoles fondamentales (primaires et maternelles) de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de multiplier les initiatives en la matière. Outre un apport financier (5000 euros par école), les établissements sélectionnés pourront compter sur le soutien de l’ASBL Question Santé pour mener à bien les volets conceptions et sensibilisation : mise en perspective des aménagements matériels (réparations, nouvelles installations, décoration…), réflexion sur l’organisation de l’usage des toilettes (règles d’accès, nettoyage…) et actions pédagogiques (respect, hygiène, santé, importance des lieux…).

« En fait, ponctue la ministre Schyns, on garde tous le souvenir du passage aux toilettes dans le milieu scolaire. On sait que leur état est souvent préoccupant avec des conséquences problématiques : les enfants se retiennent, ce qui peut créer des problèmes physiologiques, du stress, une baisse de l’attention… L’impact de la multiplication de projets de construction ou rénovation sera tout sauf anodin. »

En bref

72 %
D’après un sondage réalisé par l’ASBL Question Santé auprès de 790 membres de directions d’écoles, de parents d’élèves et d’enseignants en 2015, 72 % des personnes interrogées affirment que la question des sanitaires à l’école est une préoccupation réelle.

40 %
Quatre sur dix jugent les toilettes de leur école « sales » voire « très sales ».

74 %
Près des trois quarts voient dans la sensibilisation des élèves le premier levier pour améliorer la situation.

 

Les toilettes sèches, une solution « dans l’air du temps »

Les toilettes dataient de Mathusalem », se rappelle Bernadette Stevens, directrice de l’Institut Sainte-Thérèse de l’Assomption à Boitsfort. Voilà trois ans que la directrice a repris les rênes de l’établissement. L’école, construite dans une vieille bâtisse de campagne, avait une tuyauterie désuète. «  L’écoulement était difficile : six mois après mon arrivée, nous avions déjà géré trois inondations de plus de six centimètres d’eau, jusque dans les classes. A un moment, il a bien fallu saisir le problème à la source.  » Avec des installations à entièrement refaire, les travaux s’élevaient à plus de 15.000 euros. Une somme «  impayable  » pour l’école, précise la directrice. «  Il a fallu trouver une autre solution.  »

toilettes sèches solution

«  Quand j’ai lancé l’idée des toilettes sèches, ça a fait rire tout le monde. Puis Philippine Terlinden, institutrice maternelle à l’Institut, s’est impliquée à fond dans le projet avec moi.  » Résultat : en septembre 2016, trois petits pots encastrés dans des box en bois ont été installés dans un coin de la classe de première maternelle. Des seaux glissés en dessous récupèrent les déjections sur lesquelles les enfants sont invités à jeter (abondamment) de la sciure à l’aide d’une pelle. L’idée va plus loin : une fois remplis, ces seaux sont vidés dans un compost qui sera versé sur les légumes cultivés dans le champ derrière l’école.

Les bénéfices sont économiques d’abord, puisque ces toilettes sèches ont coûté 500 euros tout compris, écologiques ensuite : «  Puisque ces toilettes ne sont raccordées à rien, on épargne les dix litres d’eau potables qui s’envolent à chaque chasse tirée…  » Avec de tels avantages, Bernadette Stevens voit dans les toilettes sèches une solution idéale pour les écoles : «  Pour nous, c’est l’avenir ! Il suffit de les multiplier et de communiquer à ce sujet pour qu’elles soient démocratisées.  »

Car si elles remportent tous les suffrages en festival ou en gîte nature, «  dans une école, l’enthousiasme n’est pas fou  », se désole la directrice. L’équipe professorale est curieuse, tandis que les parents ne s’y intéressent pas : l’important étant que les enfants apprennent à se soulager comme des grands. «  Je n’avais jamais vu des toilettes comme ça !  », lance la mère de Karim, petit de 2 ans et demi qui utilise quotidiennement ces toilettes. «  Mais les enfants les aiment bien : ça les amuse de jouer avec la pelle et de penser aux légumes à la fin… Tant que ça leur apprend à se responsabiliser, ça me va  », conclut-elle.

Le projet doit s’étendre aux sanitaires des plus grands : d’ici deux ans, les enfants de troisième maternelle auront aussi des toilettes sèches. Deux étages plus haut que les premières, les élèves de 6 ans sont enthousiastes. Astrid et Julie trouvent ça pratique et s’enthousiasment pour le cercle vertueux que cela crée : «  Après, on met tout dans le compost pour notre potager !  » Rien ne se perd, tout se transforme : la maxime de Lavoisier met des étoiles dans les yeux d’enfants fascinés, ainsi sensibilisés à l’écologie. «  Notre caca redevient des légumes et super bons en plus !  », lâche Ryan, avec grand sérieux mais le sourire aux lèvres. Une manière plutôt claire de résumer ce projet récompensé par le Prix du jury au « Bubble Festival », qui distingue des projets « environnement » dans les écoles.

Et patati
Et patata

Tous ces petits « manquements » à l’intégrité physique des enfants sont les premières violences que nous leur faisons subir.

Délégué général aux Droits de l’Enfant