Ils n’avaient pas l’argent. Ils l’ont trouvé. Ils n’avaient pas toutes les clés pour changer les comportements, ils les ont forgées. Dans cette école qualifiante située à Montignies-sur-Sambre, élèves et professeurs ont tout fait pour rendre les toilettes sympas.
“Moi, je n’y allais plus. J’attendais de rentrer chez moi. J’avais mal au ventre, mais pas le choix. On n’y était pas à l’aise. Il y avait des serviettes (NDLR : des serviettes hygiéniques) collées au mur. Les pots ne tenaient plus. Ni les murs. Non, on n’aimait pas y aller. C’était comme une maison cassée.” Claudia a pris la parole mais, autour de la table, Laura, Mathilde, Victoria et Cloé, ex-déléguées de l’année scolaire 2016-2017, approuvent. Philippe Rossignon, directeur de l’Ecole du Soleil Levant, ajoute de l’eau à leur moulin : “Ces toilettes, c’était une ruine”. “Il fallait absolument faire quelque chose”, conclut une adolescente. Elles l’ont fait. Ou plutôt : toute l’école l’a fait. Désormais, les toilettes sont simples mais fonctionnelles. Pourtant, on vient de loin. Cette école d’intégration professionnelle accueille des jeunes filles de 13 à 21 ans, dont certaines avec un handicap mental léger voire modéré à sévère et/ ou issues de milieux précarisés. Pendant des années, le sujet des toilettes est revenu sur la table. “On y travaille vraiment depuis plus de trois ans”, détaille Aurore Godfrin, professeur de français impliquée à la fois dans la coordination des projets de l’école et dans le groupe des déléguées.
Les premiers pas ont été importants mais en partie infructueux : les élèves avaient été chargées d’imaginer des affiches de sensibilisation. Pour concevoir cette campagne, les jeunes filles avaient d’abord effectué un travail de repérage (photos à l’appui) et d’analyse des problèmes, puis trouvé des slogans.
Cependant, l’impact des affiches n’a pas été retentissant. “Normalement, des filles, ça devrait être propres. Mais là, y’avait pas de respect”, tranchent les ex-déléguées. Certes, les enseignants glissent délicatement qu’il faut du temps pour transmettre certaines règles de respect et d’hygiène dont les élèves ne bénéficient pas toujours chez elles. Par ailleurs, si cette étape de sensibilisation n’a pas assez fonctionné, sans doute est-ce aussi parce que “dans du délabré, les comportements restent les mêmes”, assure Karine Van Meerbeck, chef de travaux d’ateliers. En tout cas, le constat était posé : il fallait rénover les lieux.
Dans cette école, aller chercher ailleurs ce que les subsides ne permettent pas de s’offrir fait partie de la “culture maison” (lire l’encadré). “Nos subventions servent à payer les factures, à faire “fonctionner l’école”, au renouvellement du matériel nécessaire à l’apprentissage dispensé dans nos 4 sections qualifiantes, détaille Philippe Rossignon. Elles ne suffisent pas à couvrir nos besoins supplémentaires (rénovation des bâtiments, projets pédagogiques spécifiques)”. Dès lors, “nous organisons des recherches de fonds extérieurs pour développer nos projets”, explique Jérôme Brasseur, professeur de français et responsable de ces recherches.
L’appel à projet du Fonds BYX est arrivé à point nommé et l’école a saisi cette opportunité. “Nos élèves ont immédiatement été impliquées dans la constitution du dossier. Nous avons demandé leurs constats, avec les points positifs, négatifs ou neutres, et leurs idées. Les déléguées ont en permanence, relayé les informations”, précise Cécile Colmant, l’éducatrice. Dès l’attribution de la somme de 7 000 euros par le Fonds BYX et avec l’apport de supports financiers extérieurs, le projet de rénovation a donc pu être lancé.
Du côté des élèves, la section des Arts appliqués a “mouillé le maillot”. Mathilde, ex-déléguée, décrit encore, en larges détails, la technique à suivre pour imprimer sur du carrelage. Quant aux élèves de la section “services aux personnes”, les femmes de charge ont participé et participent encore à leur apprentissage en les impliquant dans leur travail.
Parallèlement aux travaux de rénovation, l’an dernier, le groupe “prévention”, qui lance tous les ans un thème travaillé dans les classes, a choisi de s’intéresser à l’hygiène. Claudia et les autres savent donc aussi que ce projet pas comme les autres a permis “de répondre à un besoin primaire, comme celui de manger ou de dormir”.
La réalisation de ce projet a parfois semblé bien longue. Cela a d’ailleurs nécessité de “redynamiser les troupes” à certains moments. Mais le résultat des différentes actions saute aux yeux, notamment via la charte écrite par les élèves et qui est désormais affichée dans des toilettes… propres, et même “agréables et sympas”, estiment les ex-déléguées. Pour veiller au grain, Mathilde a réalisé une vidéo de sensibilisation : les nouvelles déléguées la montreront dans chaque classe. “Vous pouvez être fières de vous”, lance le directeur aux ex-déléguées. “On l’est”, rétorque Claudia du tac au tac.
“La bonne communication entre tous, le dynamisme de l’équipe pédagogique et des déléguées ont été les meilleurs atouts de ce projet”, estime Aurore Godfrin. “Fondamentalement, rappelle le directeur, les projets que nous menons donnent aussi un sens à tout ce qu’on essaie de transmettre à nos filles”. “Vous avez beaucoup de filles !”, s’étonne aussitôt Claudia. La réponse fuse : “Eh oui, 242.” Tout s’explique…
Sponsoring, mode d’emploi
Une ludothèque aménagée, des vélos, une camionnette, des bancs où il fait bon s’asseoir quand il ne pleut pas… Sans l’aide de sponsors (des entreprises, des fondations, des organismes caritatifs…), l’Ecole du Soleil levant n’aurait pas pu disposer de tout cela. Karine Van Meerbeck, chef de travaux d’ateliers et Jérôme Brasseur, professeur de français, sont les têtes de pont d’un système désormais bien ancré dans cette école : la recherche de fonds extérieurs, indispensables pour développer les projets imaginés à l’intérieur.
“Nous partons toujours d’un projet précis et nous ciblons les demandes que nous envoyons, par courrier, aux personnes qui sont susceptibles de nous aider, détaille Karine Van Meerbeck. Une fois le contact établi, s’il le faut, nous allons sur place expliquer et présenter notre projet.”
Certains “sponsors” n’interviennent qu’une seule fois. D’autres, plus souvent car, peu à peu, un réseau s’est créé. Les autres enseignants de l’école viennent parfois enrichir le “listing”, en glissant tel ou tel tuyau à l’oreille des responsables de la collecte de fonds (“Mon mari travaille dans une entreprise qui…”).
Autre point important, une fois le projet terminé, ceux qui l’ont soutenu reçoivent systématiquement un feed-back et des remerciements, émanant parfois directement des élèves. Tous les ans, une invitation permet aussi de réunir les sponsors afin qu’ils voient, sur place, ce qu’ils ont rendu possible. Généralement, on leur propose aussi de participer à une des activités organisées par l’école
En dépit de nombreuses tentatives, “nous ne sommes pas des pros et ce n’est pas le jackpot à chaque fois, admet néanmoins Karine Van Meerbeck. Dès lors, il arrive que nous soyons amenés à réajuster un projet, afin de l’adapter aux fonds récoltés. Mais, à chaque fois, avec toutes les bouteilles que nous lançons à la mer, nous savons que nous allons y arriver : ici, on est des optimistes.” Visiblement, à raison.